dimanche 4 août 2013

JOURNAL D'UN PROMENEUR MÉLOMANE  

EXTRAITS

Saisir , être capable de transmettre à d'autres quelques modestes paraphrases de la beauté dans une équation de Fermat ou une œuvre de Bach c'est donner une excuse à la vie. Georges Steiner  Passions impunies.


Ce mardi 30 juillet, dans la, pourtant ingrate, salle du réfectoire de l'abbaye, AMAURY COEYTAUX (violon) & FREDERIC LAGARDE (piano) ont réalisé dans la sonate de Franck ce moment musical parfait, miraculeux tel qu'un mélomane, même assidu, n'en croise qu'exceptionnellement dans sa vie. Ce qu'ils atteignirent est de l'ordre de l'ineffable, les mots y manquent, c'est pourquoi nous nous pencherons plutôt sur les raisons pour lesquelles de tels événements se produisent aussi rarement.
Souvent, la sonate est noyée dans les eaux glacées du calcul égoïste :

À l'avant le violoniste, la vedette , le grand nom sur l'affiche veut prouver qu'il est le patron, parfois au mépris de la partition; le pianiste, lui se résigne mal à sa position de dominé, ce duo/ duel est parfois fructueux, mais le plus souvent agaçant.Ce soir là, nulle conspiration des egos, ni l'un ni l'autre n'ont le besoin ou le goût de la frime. Nul étalage narcissique de virtuosité, ils appartiennent à cette espèce que dans le jazz on appelle musician's musician, des musiciens pour musiciens qui ont l'estime et la reconnaissance admirative de leurs pairs.

Souvent, la routine guette les meilleurs :

Dans les œuvres trop inlassablement répétées, la tentation est forte selon l'expression utilisée par les musiciens eux-même, de mettre en pilotage automatique, de faire confiance aux formules maintes fois travaillées ; ces travers, bien humains, permettent de limiter la casse en cas de fatigue et aboutissent fréquemment à de fort honorables interprétations, mais, au détriment de l'âpreté poétique des partitions.
Ce soir là, c'était leur première exécution publique de l'œuvre. L'intense écoute de l'autre, le souci de l'infime frémissement donnaient aux silences enchâssés dans la musique une formidable puissance émotionnelle.
Souvent, contraintes économiques obligent, le programme est trop vite monté.

La technique transcendante des grands professionnels leur permet dès la première lecture d'atteindre une formulation acceptable et les perfectionnements apportés portent davantage sur les détails que sur la totalité de la partition vue dans sa continuité.Ce soir là, les architectures secrètes de la sonate devenaient évidence et le troisième mouvement se voyait restituer sa place nodale et rayonnante de lumineuse noirceur.

Après les avoir entendus, on comprend mieux ce que Proust ressentit le 19 avril 1913 :



« Grosse émotion ce soir. À peu près mort je suis allé cependant à une salle rue du Rocher pour entendre la sonate de Franck que j'aime tant, non pour entendre Enesco* que je n'avais jamais entendu (sicissime) [.] Or je l'ai trouvé admirable ; les pépiements douloureux de son violon, les gémissants appels , répondaient au piano comme d'un arbre, comme d'une feuillée mystérieuse .C'est une très grande impression . Je te te le dis croyant te faire plaisir parce que je sais que tu l'admires .Et il desafffadit et redessine le rondeau** qu'on a l'habitude de jouer en se pâmant sous prétexte qu'il est angélique; je suis trop fatigué pour te commenter tout cela quoique il y aurait des choses importantes à dire ... »
Lettre écrite le soir même à Antoine Bibesco Lettre 65 correspondance tome XII Plon
La découverte de cette sonate l'a conduit à remanier profondément et quasi immédiatement les épreuves il y crée le personnage de Vinteuil fusion de Berget et Vington.La dédicace d'Un amour de Swann à Jacques de Lacretelle montre que la fameuse sonate de Vinteuil, bien que composite, doit beaucoup à celle de Franck. Dans cette même soirée encore, quand le piano et le violon gémissent comme deux oiseaux qui se répondent, j'ai pensé à la Sonate de Franck (surtout jouée par Enesco)

Pardon pour cette longue digression proustomaniaque qui ne surprendra que ceux qui ne me connaissent pas. Pour ajouter à notre bonheur les artistes, acclamés debout, ont intelligemment renoncé au bis! L'éblouissement subi a relégué dans l'ombre les autres pièces du programme pourtant talentueusement défendues, c'est une injustice que j'assume pleinement.

*Compositeur et virtuose roumain protégé de la famille Bibesco, le pianiste était Paul Goldschmidt

** en fait le finale allegretto poco mosso


Jeudi 1 août
EMMANUEL ROSSELFELDER / QUATUOR ENESCO
Emmanuel Rossfelder est un prodige de la guitare qui jouit de la considération de ses pairs, et de l'amour du public, de tous les publics, j'ai entendu un guitariste de rock me dire :« Ce mec il est écœurant, il peut tout faire, tout lui a l'air facile , c'est Dieu avec un physique de surfer, quand je suis sorti de son concert, j'ai foutu ma gratte au placard pendant un mois!. »Effectivement, ce virtuose maitrise tout le répertoire de la guitare, du baroque, dont il a su intégrer les apports des lectures authentisantes, à la musique romantique ou contemporaine.Le quatuor Enesco semble avoir moins l'habitude des compositions de Vivaldi et Boccherini, malgré un engagement et une bonne volonté évidente



.Il se montrèrent plus à leur aise avec le quatuor N°1 du maître des lieux Fabrice Gregorutti.

Dans un louable souci pédagogique, l'altiste Vladimir Mendelssohn, présente l'œuvre au public, illustrant, avec l'aide de ses collègues, le tribut payé au nom de Bach et à La jeune fille et la mort de Schubert et leur conflictuelle cohabitation.

Fabrice Gregorutti, son catalogue en témoigne, sait le métier, il ne sera pas le premier , intimidé par cette forme si brillamment illustrée dans l'histoire de la musique, à se réfugier dans une rhétorique trop respectueuse pour ne pas étouffer l'ardente nécessité qui conduit un compositeur à sa table.

Samedi 3 août
Soirée lyrique de Massenet à Ravel

Leontina Vaduva est une cantatrice expérimentée qui a connu toutes les grandes maisons d'opéra, mais peut être a-t-elle une voix un peu top puissante pour la mélodie française et la salle du réfectoire de l'abbaye de Celles.

Elle tira davantage son épingle du jeu dans la deuxième partie et Manon de Massenet où elle triompha à la scène.
Elle sut séduire avec un art consommé le public, en particulier Henri, 3 ans jeune homme à la marinière élégamment nouée sur les épaules et l'entrainer dans la célèbre valse d'Érik Satie Je te veux .

Samedi 27 juillet
Autour de Brahms et de Chostachovitch.
Accroche Note est un ensemble  de musique de chambre à géomètrie variable .
La qualité de ses solistes, l'intelligence  des choix de ses animateurs Françoise Kubler (soprano) et  Armand Angster ( clarinettiste) font de cet ensemble un des plus performants de la scène musicale française, ils sont les interlocuteurs priviligiés de nos meilleurs compositeurs.
On ne peut que regretter qu'ils soient si rarement invités dans notre région.
C'était le premier concert des estivales d'ArtenetrA auquel j'assistais et je l'avoue toute la première partie j'ai eu du mal à me faire  à l'acoustique du lieu.
Est-ce l'accoutumance, le pianiste a-t-il modifié ses attaques? Tout se passa mieux lors de la deuxième partie et je pus mieux goûter le dynamisme concis de la commande passée par le festival à Éric Tanguy, un Lacrymosa pour clarinette et piano où s'illustra pleinement Armand Angster. et surtout comme tout le public je fus subjugué par Françoise Kubler qui fut bouleversante dans les Sept romances de  Chostakovitch sur des textes hébaïques d'Alexander Block . Cette oeuvre déchirante, hérissée d'incroyables difficultés est hélas très rarement donnée.
Merci ArtenetrA     

ILLUSTRATION  Le caratère un peu loupé des photos les signe , ce sont les miennes. Il y eut des moments où je fus trop ému pour utiliser mon appareil; 

Le texte vous semble avoir de trop petits caratères qui rendent la lecture malaisée?
Appuyez sur Ctrl  + ,cela ira mieux !


1 commentaire:

Anonyme a dit…


Un condensé pour compenser.

La lecture matinale de votre journal m'est un moment délicieux et l'on se régale de l'extase prousto-maniaco-expressive .
Vos propos élégants et précis me renvoient à Pierre Soulage :
-..silence enchâssé dans la musique ..
-...l'éblouissement subi a relégué dans l'ombre..
-..forme brillamment illustrée..
-..place rayonnante de lumineuse noirceur ..

L'expression : conduire un compositeur à sa table .

Remarque :l'utilisation des temps manifeste ou non votre enthousiasme . Le passé simple traduit la non émotion , le rapport, sans plus (mathématiquement parlant ) .Il est absent dans le rapport de la sonate de Franck en particulier .

En attente de la suite puisque ArtenetrA se poursuit .

Prendre des photos pendant un concert devrait être strictement interdit. Les vôtres sont ce que donne l'avant ou l'après , ce qui est fort louable .