CARNET D'UN MÉLOMANE EXTRAITS
Moulin du Roc Niort
Mardi 16 décembre
Histoire du soldat Ramuz / Stravinsky
Une soirée magique, les
ingrédients :
Des instrumentistes virtuoses,
parfaits, impliqués avec talent dans le jeu théâtral
comme le chef Laurent Cuniot qui campe un diable très
crédible sans pour autant renoncer à la direction
d'orchestre d'une extrême précision que nécessite
cette œuvre.
La mise en scène et la
scénographie aérienne de Jean-Christophe Saïs qui
habilement a su conjuguer poésie et lisibilité.
Une fabuleuse et ondoyante princesse la
danseuse et chorégraphe Raphaëlle Delaunay, qui dans sa
longue robe fourreau rouge peuplera longtemps la mémoire, ou
pour les chanceux, les rêves des spectateurs.
Additif
Comme son frère en ignominie
L.F. Céline, Lucien Rebatet ne manquait pas de style. Voici ce
qu'il écrivait dans son Une histoire de la musique :
« Stravinsky avait toujours
méprisé les intellectuels «
progressistes » de Russie. Croyant profondément « à
la personne du Seigneur , à la personne du diable et aux
miracles de l'Église », l'athéisme bolchevique
lui faisait horreur. Il vit dans la Révolution d'Octobre une
monstrueuse catastrophe. En outre il y perdait les derniers subsides
qui lui venaient encore de son pays. La situation de ses amis suisses
n'était pas beaucoup plus brillante en cette fin de l'année
1917 où les conséquences de l'interminable guerre
s'appesantissaient sur toute l'Europe. Stravinsky et Ramuz eurent
alors l'idée d'un petit théâtre ambulant, que le
mécène et collectionneur de Winterthur, Werner
Reinhart, accepta de subventionner. Comme le spectacle devait
s'adresser à tous les publics et même aux paysans, on
décida que le récit y aurait la plus grande place, la
musique ne faisant que les accompagner, ou remplissant les
intermèdes. Ainsi naquit L'Histoire du soldat, une
sorte de Faust pour image populaire ; le soldat revenant de la guerre
à pied, jouant d'un violon magique que le diable lui achète
contre un talisman qui le rend très riche, puis prince aimé
d'une jeune princesse, et retombant en voulant revoir son village,
sous la coupe du diable qui s'empare de lui pour toujours.
Mais si le conte est russe tiré
du précieux livre de Kiev, la musique a rompu avec les
souvenirs slaves. Elle fait entendre une sorte de marche où
trainent des sonneries militaires, un concertino, un tango, une valse
, un rag-time, une « marche royale », un petit
choral et un grand, une marche triomphale du diable, Stravinsky a
travaillé sur des impressions sonores du monde qui l'entoure,
danses à la mode et même devançant la mode,
chorals protestants, fanfares des dimanches suisses.
Il les déforme, les disloque
avec un humour froid, les soumet à une instrumentation
paradoxale , répondant sans doute aux petits moyens du théâtre
ambulant, mais calculée avec une insolente compétence
: violon, contrebasse, clarinette, basson, trompette aux sonorités
de piston, trombone et batterie, dont le tambour à qui est
dévolu en décrescendo la péroraison du singulier
ouvrage. Les musiciens Le piston déraille le choral détonne.
Il s'agit là de procédés volontairement fort
voyants, et qui n'ont été que trop imités. Mais
ce qui compte c'est l'usage que Stravinsky en fait, la nécessité
qu'ils prennent sous sa main. Les fausses notes piquées au
hasard chez les épigones, ne peuvent chez lui tomber qu'à
la place qu'il leur assigne. Les « ratés» de
cette musique tracent une caricature d'une sûreté qui,
elle, est bien inimitable. Et ces gambades, ces flonflons , ces
couacs, ces tronçons d'air et de rythmes tellement
hétéroclites forment bel et bien une suite de la plus
ferme unité, que l'on perçoit d'ailleurs beaucoup mieux
quand on l'entend sans le récitant, c'est à dire un
comédien qui dramatise sottement le texte rugueux et familier
de Ramuz. Ce mardi ce n'était
pas le cas, Serge Tranvouez fut un narrateur parfait.
L'Histoire du soldat : la partition de Stravinsky la
plus chargée d'un alcool râpeux et cependant succulent,
griffue comme son diable, est bien plus encore que Petrouchka
un chef d'œuvre de l'argot manié par un aristocrate.
L'ouvrage fut représenté
à Lausanne le 27 septembre 1917, avec Ansermet à la
direction du petit orchestre, Georges et Ludmilla Pitoëff pour
dire le texte de Ramuz, devant des dilettantes choisis qui lui firent
un succès. La fin des hostilités emporta le projet du
théâtre ambulant. L'histoire resta ignorée des
vignerons vaudois à qui Ramuz et Stravinsky la destinait avec
beaucoup d'illusions. Elle les eut certainement sidérés.
On ne l'a risquée qu'une seule fois devant un public
populaire, les jeunes spectateurs d'un théâtre de la
périphérie parisienne. L'expérience a vite
dégénéré en cris d'oiseaux... LUCIEN
REBATET Une Histoire de la musique (1969) Bouquins Page 716 / 717
TAP POITIERS
Dimanche 14 décembre
AU PAYS OÙ SE FAIT LA GUERRE.
ISABELLE DRUET /QUATUOR GIARDINI
Chacune des apparitions jeune
mezzo-soprano originaire de Niort, révélation lyrique
des Victoires de la musique 2010 est un événement salué
par la critique.
Ce récital bâti avec
sensibilité et intelligence autour de la guerre sait alterner
vague patriotique comique et déchirantes mélodies
évocatrices de la douleur de l'arrachement, de la solitude et
du deuil.
Dans Offenbach ou Donizetti, la diva
fait preuve d'un abattage, d'un dynamisme qui n'est pas sans évoquer
Régine Crespin au temps de sa splendeur.
Dans les mélodies de Duparc,
Debussy, Reynaldo Hahn sa clarté de diction son sens poétique
m'ont fait penser Suzanne Danco.
Sa conduite de voix, son timbre
subjuguent.
Souvent la musique se perd dans les
eaux glacées du calcul égoïste, ici, grâce
à la complicité de la chanteuse et de ses partenaires
elle triomphait.
Mais ce qui a fait l'originalité
de ces moments musicaux reposait aussi sur les arrangements
extrêmement subtils, respectueux, jamais dans l'inutile
paraphrase ou l'amphigouri d'Alexandre Dratwicki.
La transcription des mélodies
pour trio à corde et piano confère au récital
une unité magique.
Le programme fait une large place aux
compositrices Mel Bonis, Cécile Cheminade, Nadia Boulanger. On
se rend compte que leurs œuvres laissées dans une paresseuse
ignorance
soutiennent la confrontation avec
Ravel, Fauré ou Debussy.
La précision , le talent,
l'enjouement, la cohésion du quatuor Giardini ont emporté
l'adhésion d'un public enthousiaste. L'ancienneté de
leur rencontre, malgré leur jeunesse le sérieux du
travail accompli au sein de la Fondation Bru Zane au centre de
musique romantique française de Venise les place parmi les
plus séduisants défenseurs de cette musique.
Au fait que dit-on , une merveilleuse
après-midi ou un merveilleux après-midi?
La
huitième édition (1932-1935) du dictionnaire de l'Académie donnait
ce mot au masculin ; mais la neuvième édition
(1992-...) lui donne les deux genres.
Peu
importe l'émerveillement était là
On
aura le plaisir de retrouver Isabelle Druet dans un programme
espagnol avec le Poème harmonique de Vincent Dumestre le
samedi 6 juin à 21 h en l'église Saint Savinien lors du
festival de Melle .
À
noter sur vos neufs agendas 2015