jeudi 18 décembre 2014

CARNET D'UN MÉLOMANE EXTRAITS

Moulin du Roc Niort
Mardi 16 décembre
Histoire du soldat Ramuz / Stravinsky
Une soirée magique, les ingrédients :
Des instrumentistes virtuoses, parfaits, impliqués avec talent dans le jeu théâtral comme le chef Laurent Cuniot qui campe un diable très crédible sans pour autant renoncer à la direction d'orchestre d'une extrême précision que nécessite cette œuvre.
La mise en scène et la scénographie aérienne de Jean-Christophe Saïs qui habilement a su conjuguer poésie et lisibilité.
Une fabuleuse et ondoyante princesse la danseuse et chorégraphe Raphaëlle Delaunay, qui dans sa longue robe fourreau rouge peuplera longtemps la mémoire, ou pour les chanceux, les rêves des spectateurs.
Additif
Comme son frère en ignominie L.F. Céline, Lucien Rebatet ne manquait pas de style. Voici ce qu'il écrivait dans son Une histoire de la musique :
« Stravinsky avait toujours méprisé les intellectuels «  progressistes » de Russie. Croyant profondément « à la personne du Seigneur , à la personne du diable et aux miracles de l'Église », l'athéisme bolchevique lui faisait horreur. Il vit dans la Révolution d'Octobre une monstrueuse catastrophe. En outre il y perdait les derniers subsides qui lui venaient encore de son pays. La situation de ses amis suisses n'était pas beaucoup plus brillante en cette fin de l'année 1917 où les conséquences de l'interminable guerre s'appesantissaient sur toute l'Europe. Stravinsky et Ramuz eurent alors l'idée d'un petit théâtre ambulant, que le mécène et collectionneur de Winterthur, Werner Reinhart, accepta de subventionner. Comme le spectacle devait s'adresser à tous les publics et même aux paysans, on décida que le récit y aurait la plus grande place, la musique ne faisant que les accompagner, ou remplissant les intermèdes. Ainsi naquit L'Histoire du soldat, une sorte de Faust pour image populaire ; le soldat revenant de la guerre à pied, jouant d'un violon magique que le diable lui achète contre un talisman qui le rend très riche, puis prince aimé d'une jeune princesse, et retombant en voulant revoir son village, sous la coupe du diable qui s'empare de lui pour toujours.

Mais si le conte est russe tiré du précieux livre de Kiev, la musique a rompu avec les souvenirs slaves. Elle fait entendre une sorte de marche où trainent des sonneries militaires, un concertino, un tango, une valse , un rag-time, une « marche royale », un petit choral et un grand, une marche triomphale du diable, Stravinsky a travaillé sur des impressions sonores du monde qui l'entoure, danses à la mode et même devançant la mode, chorals protestants, fanfares des dimanches suisses.
Il les déforme, les disloque avec un humour froid, les soumet à une instrumentation paradoxale , répondant sans doute aux petits moyens du théâtre ambulant, mais calculée avec une insolente compétence : violon, contrebasse, clarinette, basson, trompette aux sonorités de piston, trombone et batterie, dont le tambour à qui est dévolu en décrescendo la péroraison du singulier ouvrage. Les musiciens Le piston déraille le choral détonne. Il s'agit là de procédés volontairement fort voyants, et qui n'ont été que trop imités. Mais ce qui compte c'est l'usage que Stravinsky en fait, la nécessité qu'ils prennent sous sa main. Les fausses notes piquées au hasard chez les épigones, ne peuvent chez lui tomber qu'à la place qu'il leur assigne. Les « ratés» de cette musique tracent une caricature d'une sûreté qui, elle, est bien inimitable. Et ces gambades, ces flonflons , ces couacs, ces tronçons d'air et de rythmes tellement hétéroclites forment bel et bien une suite de la plus ferme unité, que l'on perçoit d'ailleurs beaucoup mieux quand on l'entend sans le récitant, c'est à dire un comédien qui dramatise sottement le texte rugueux et familier de Ramuz. Ce mardi ce n'était pas le cas, Serge Tranvouez fut un narrateur parfait. L'Histoire du soldat : la partition de Stravinsky la plus chargée d'un alcool râpeux et cependant succulent, griffue comme son diable, est bien plus encore que Petrouchka un chef d'œuvre de l'argot manié par un aristocrate.
L'ouvrage fut représenté à Lausanne le 27 septembre 1917, avec Ansermet à la direction du petit orchestre, Georges et Ludmilla Pitoëff pour dire le texte de Ramuz, devant des dilettantes choisis qui lui firent un succès. La fin des hostilités emporta le projet du théâtre ambulant. L'histoire resta ignorée des vignerons vaudois à qui Ramuz et Stravinsky la destinait avec beaucoup d'illusions. Elle les eut certainement sidérés. On ne l'a risquée qu'une seule fois devant un public populaire, les jeunes spectateurs d'un théâtre de la périphérie parisienne. L'expérience a vite dégénéré en cris d'oiseaux... LUCIEN REBATET Une Histoire de la musique (1969) Bouquins Page 716 / 717



TAP POITIERS
Dimanche 14 décembre
AU PAYS OÙ SE FAIT LA GUERRE.
ISABELLE DRUET /QUATUOR GIARDINI

Chacune des apparitions jeune mezzo-soprano originaire de Niort, révélation lyrique des Victoires de la musique 2010 est un événement salué par la critique.
Ce récital bâti avec sensibilité et intelligence autour de la guerre sait alterner vague patriotique comique et déchirantes mélodies évocatrices de la douleur de l'arrachement, de la solitude et du deuil.
Dans Offenbach ou Donizetti, la diva fait preuve d'un abattage, d'un dynamisme qui n'est pas sans évoquer Régine Crespin au temps de sa splendeur.
Dans les mélodies de Duparc, Debussy, Reynaldo Hahn sa clarté de diction son sens poétique m'ont fait penser Suzanne Danco.
Sa conduite de voix, son timbre subjuguent.
Souvent la musique se perd dans les eaux glacées du calcul égoïste, ici, grâce à la complicité de la chanteuse et de ses partenaires elle triomphait.
Mais ce qui a fait l'originalité de ces moments musicaux reposait aussi sur les arrangements extrêmement subtils, respectueux, jamais dans l'inutile paraphrase ou l'amphigouri d'Alexandre Dratwicki.
La transcription des mélodies pour trio à corde et piano confère au récital une unité magique.
Le programme fait une large place aux compositrices Mel Bonis, Cécile Cheminade, Nadia Boulanger. On se rend compte que leurs œuvres laissées dans une paresseuse ignorance
soutiennent la confrontation avec Ravel, Fauré ou Debussy.
La précision , le talent, l'enjouement, la cohésion du quatuor Giardini ont emporté l'adhésion d'un public enthousiaste. L'ancienneté de leur rencontre, malgré leur jeunesse le sérieux du travail accompli au sein de la Fondation Bru Zane au centre de musique romantique française de Venise les place parmi les plus séduisants défenseurs de cette musique.

Au fait que dit-on , une merveilleuse après-midi ou un merveilleux après-midi?
La huitième édition (1932-1935) du dictionnaire de l'Académie donnait ce mot au  masculin ; mais la neuvième édition (1992-...) lui donne les deux genres.
Peu importe l'émerveillement était là
On aura le plaisir de retrouver Isabelle Druet dans un programme espagnol avec le Poème harmonique de Vincent Dumestre le samedi 6 juin à 21 h en l'église Saint Savinien lors du festival de Melle .

À noter sur vos neufs agendas 2015 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

noté pour juin! et quoi d'autre, si l'on doit traverser la France ?
c'est déjà plus appétissant que le programme passé un peu mashmallow.
Lucie des Forêts.